
Tribune : Laure en librairie
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Pour cette deuxième tribune (la première c’est par ici), je laisse la place à Laure. Je connais bien Laure car nous avons suivi la même formation à l’Ecole Emile Cohl durant trois années de dur labeur. Une fois nos diplômes en poche, nous avons suivi nos petits bonshommes de chemin tout en gardant le contact. Aujourd’hui Laure est illustratrice et libraire. Je lui ai demandé de nous faire part de son expérience d’illustratrice-libraire et son regard sur cet autre pan du métier du livre. Son message est rafraîchissant, apaisant, enjoué et rassurant, une vraie bouffée d’air en ces temps parfois un peu maussades où la grogne et les plaintes sur le métier ont tendance à se généraliser. Laure tient aussi un joli blog, à l’adresse suivante, le blog à laure. En piste et je laisse une semaine en haut de l’affiche :
Bonjour !!
Voilà qu’après Philippe-Henri Turin c’est moi qui m’y colle !
Alors moi je m’appelle Laure Monloubou, et je suis auteur et illustratrice jeunesse et vendeuse en librairie ! Non pas que travailler plus pour gagner plus soit mon credo, non, non, moi c’est surtout travailler tranquillement pour être tranquille dans la vie.
Car, vous le savez sans doute, il n’est pas si aisé de ne vivre que de la création (quand je dis vivre c’est de pouvoir varier les repas ; les nouilles c’est bon, mais trop longtemps, ça perd de son charme), et j’ai donc choisi de travailler « à côté » pour gagner juste ce qu’il faut pour le loyer et les basses dépenses de la vie qu’on est obligé de toute manière. J’ai aussi choisi de travailler à l’extérieur pour me sortir un peu de mon bureau qui me rendait autiste, même à ma boulangère je ne parlais plus ! C’est vous dire !
Par chance (par grande chance, je m’en rends compte aujourd’hui) j’ai trouvé ce travail en librairie.
Depuis six ans, je fais des livres quand ça vient, et je vends des livres 2 jours par semaine !
Beaucoup de gens me disent souvent : « mais ça te déprime pas de voir TOUS ces livres qui sortent TOUS les jours !!!! », et bien écoutez non, même limite ça m’emplit de joie ! Moi j’adore les livres, je ne peux pas me plaindre qu’il y en ait plein ! J’entends aussi que ça va tuer le marché toute cette production, et, je ne sais pas, mais, les livres forts restent, les livres qui apportent quelque chose résistent et deviennent vivant pour de bon. Moi je me dis que si mes livres ne restent pas en librairie c’est qu’ils ne sont pas encore assez aboutis, assez forts. Tous les livres ne peuvent pas devenir des best seller ça c’est sûr, mais certains, tranquillement, s’installent dans les bacs et y restent. Vu depuis moi, je trouve les choses assez justes, bien sûr il ne faut pas compter les Dora et autres Charlotte qui sont toujours en haut des ventes, elles ne prennent la place de personne à mon sens, elles ne sont pas des livres comme on l’entend.
Et puis je n’ai pas peur, les gens sont attachés aux livres, ils les aiment vraiment, que ce soient des mamies, des enfants, des jeunes gens, le livre crée toujours son émotion.
Et puis d’être en librairie m’a vraiment donné une culture du livre jeunesse que je n’avais pas vraiment : autant dans la connaissance des auteurs et illustrateurs classiques que dans la découverte des nouveaux qui montent ! J’ai sous les yeux tout ce qui se fait, je vois un peu les tendances, les « modes », et je vois comme tous les auteurs et tous les styles ont leur place ; Martine est toujours là, mais la petite taupe avec son caca sur la tête fait des adeptes, et Pakovska et Herbauts ont leurs fans !
Et pis aussi je vois si Vincent travaille bien !!!!!
Ce qui est fort tout de même au métier de libraire, c’est qu’il peut vraiment influer sur la marche d’un livre ; un libraire peut vraiment « porter » un livre, le soutenir, et l’emmener très loin !!!!! Tout comme il peut choisir de ne prendre qu’un volume d’un bouquin et de le mettre directement dans le bac plutôt que de le présenter sur table ! Comment se fait ce choix, et bien la plupart du temps, le libraire est libre, et si un livre lui plaît fortement beaucoup, il peut décider d’en prendre 80 et de tout faire pour le placer auprès des lecteurs ! et inversement, s’il ne voit aucun intérêt à un livre, et bien il n’en prend qu’un et le range… Il est vrai que dans certaine grande structure de librairie, certains titres sont imposés, ils DOIVENT figurer très fort dans la librairie, une mise en place avec l’éditeur, une « opération » est mise en place, une quantité importante de livres est achetée avec une remise plus importante pour le libraire, et donc là le truc c’est d’en vendre plein !!! Mais cela ne donne pas la qualité du livre : il y a des opérations sur des éditeurs topissimes, et des opérations sur un titre parce que c’est LE titre, et si tu le fais pas les autres librairies elles se moquent (et tu perds de l’argent). Par exemple, faut être bête pour pas prendre le dernier Dan Brown, le gars du Da Vinci Code, parce que sinon là c’est louper des ventes bêtement ! Et puis comme ça, avec l’argent de Dan Brown on peut tenter le coup d’acheter un petit livre chez un petit éditeur, même si on sait bien qu’il est plus pour un publique averti.
Enfin tout est encore possible en librairie ! Je ne sais pas trop pour les grandes « chaînes », mais pour l’instant, les libraires peuvent encore faire leur travail, et ils choisissent leurs livres, et ils les placent comme ils veulent !
Enfin, je vous le dis amis dessinateurs, n’hésitez jamais à venir faire coucou aux libraires de votre ville, déjà, c’est sympa de venir nous rencontrer, et pis nous après on a un nouveau rapport à vos livres ; on voit le livre et on voit la personne qui est derrière ! Et ça, ça peut changer beaucoup de choses !!!
Laure.
J’ai passé une enfance bucolique et heureuse dans les belles montagnes du Jura, où naîtra mon amour immodéré du dessin et de la sieste. Bien que dessiner dans les marges fut très marrant, la spécialiste en orientation du cio trouva fort avisé de me conseiller la filière S, donnant un bac S, qui faisait que je pouvais faire du droit. Je me conseillai alors moi-même vers un bac A3 (pour la jeune génération qui nous lirait, le bac A3 ne correspond à plus rien de nos jours, me semble-t-il ?). Bac en main je m’en fus à la grande ville de Lyon faire une école de dessin spécialisée en dessin. Ensuite la route de la gloire ne fut pas sans embûches, et je connus les joies du travail en studio de dessin animé, où je coloriai les décors des séries tv sur un grand ordinateur. Le fait est que je fis cette expérience à Angoulême, ce qui m’amena à connaître des Angoumoisins, et qui dit Angoumoisins, dit bédéteurs (gens qui font de la bd). Ceci étant, j’eus ainsi une approche de la bd très fort sympathique en la personne des habitants de l’Atelier Sanzot (oui, oui, comme dans Tintin). Et puis je suis repartie pour la grande ville lyonnaise et connu alors mes débuts en parutions et autres joies qui vous font ouvrir le champagne parce que quand même c’est pas tous les jours. Je trouvai ensuite mon travail à la librairie, ce qui me permit de me nourrir, ce qui n’est pas rien quand on veut vivre. Et puis, un jour, un ami me mit sur la voie de mon éditrice, madame Kaléidoscope, une dame qui aima mon dessin, qui aima mes histoires, et que moi j’aimais aussi à travailler avec elle, ce que je fais toujours aujourd’hui !!! Avec bonheur !!!
Louise et ses petits tracas, Milan BD, Treize Étrange, 2004
Ghislain, Kaléidoscope, 2006
Hippopo et Sourisso, Kaléidoscope, 2006
Jacinthe, Kaléidoscope, 2007
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Merci beaucoup Vincent pour ma tribune !!!!
Ahhh, je suis THE fan of Laure ! C’est très instructif de te lire car, quand on boit un thé, on ne parle pas forcément de tes métiers ( surtout celui de libraire ) et j’ai appris pas mal de choses !
Merci Laure et merci Vincent !
Merci Alice !!! sache qu’à présent je mets aussi en avant tes belles cartes postales dans la librairie !!!!
Merci Laure
j’admire ton optimisme. D’un point de vue personnel j’adore traîner dans les librairies, mais tout de même, bien souvent, cette énorme production me mine le moral, et me coupe même l’envie d’acheter quoi que ce soit.
Étrangement d’un point de vue professionnel je me sens à contrario, plutôt rassuré, si l’on peut dire, car la multiplication des éditeurs, la diversité des talents, me laissent imaginer que je pourrais trouver ma place parmi les heureux élus publiés.
Mais il reste au final une situation ambiguë, du fait de cette surproduction, dans laquelle les auteurs sont trop souvent malmenés. Les faibles tarifs des rémunérations, les droits mis à mal ou triturés, la précarité de la situation de l’auteur (et de l’illustrateur qui est censé être considéré comme un auteur) ne me semblent pas en mesure d’être réglés par la seule bonne volonté de quelques libraires, hélas.
Une des parades consiste effectivement à avoir une autre activité professionnelle en marge de celle d’auteur.
Mais du coup n’est ce pas contribuer aussi à l’idée que cette profession d’auteur n’est somme toute que secondaire ?
Même si tu fais un autre travail, être auteur ne peut pas être secondaire, être auteur fait parti de toi, c’est pas juste un boulot, c’est pas juste vendre des hamburger ou des tee-shirt, c’est toi auteur, et pis bin, à côté, faut bien manger !
Courage !
Tout d’abord : “Bravo Madame Laure, j’admire tout ce que vous faites.”
Et oui, moi aussi je suis plutôt optimiste. Car face à toutes ces nouveautés qui nous envahissent, le rôle du libraire est de plus en plus important. A nous de mettre en valeur ce que l’on a aimé (et pas forcément ce qui a le plus de presse), à nous de conseiller les clients avec attention et d’être humains !
“Il ne savait pas que c’était impossible, alors il l’a fait.” 😉
Et oui !! tout à fait Eugénie !
On nous dit : “ah mais c’est comme ça ! y’a trop livres ! il faut vendre ça et pas ça ! et faire ça !!” mais, non de non ! à notre mesure on peut faire des choses, et ce qui est sûre c’est que si tout le monde se dit ” cé comme ça, cé comme ça”, on risque pas d’avancer !
Moi je dis bravo Eugénie, je te fais confiance à toi et à toute ta bande !!
à bientôt !
Je ne faisais que le constat d’une situation générale. Bien évidemment, le rôle des libraires comme toi est admirable et important. Mais avoue que vous ne pouvez pas soutenir autant d’ouvrages que vous le souhaiteriez, et que la masse et la vitesse du défilé jouent contre les petits (qu’ils soient auteurs, illustrateurs ou libraires).
Je ne sais pas si ça joue contre les petits, en tous les cas, comme je le disais à Eugénie, il ne faut pas se laisser abattre et foncer !!
Courage Vasco !
Oui ! C’est possible.
Le plus important étant de faire plaisir aux gens !
Et un jour, les éditeurs comprendront que ce n’est pas dans leur intérêt de publier trop. Un jour…
Un peu hors sujet, mais pas tant que ça :
j’aimerai savoir si vous connaissez l’affaire François Roca dont je viens de prendre connaissance ?
Je suis assez consterné que personne n’ait relayé l’information, révélée il y a déjà quelque temps sur un forum (et ailleurs), de ses pillages répétés.
pour vous faire une idée voici 3 liens :
http://www.catsuka.com/interf/.....;start=195
http://www.armel-gaulme.com/artblog/?p=4
http://www.cornelius.fr/blogv2.....#038;cos=1
Quand je vois le travail auquel s’adonne Vincent, et le partage qu’il fait de ses méthodes de travail, je suis ébahi qu’un type comme Roca (dont j’admirais souvent les images bien que les connaissant peu), ne fasse pas la une d’autres magazines que Télérama auquel il est régulièrement convié.
Le problème est naturellement plus large que le simple pillage mais déborde sur des questions d’éthique professionnelle. Il arrive assez fréquemment que de jeunes auteurs (récemment l’affaire Catel et sa BD parue dans Libé) copient par “inadvertance” (ou même méconnaissance) mais là, la formation de celui-ci semblait valoir toutes les accréditations (Arts appliqués, Emile Colh), or personne ne semble s’émouvoir ni de ses détournements d’images , ni des questions de droits qui en découlent, non plus que des valeurs d’enseignement remises en cause, et surtout pas du dénie du respect du public que cela sous-entend.
Au delà du savoir faire il parait important de rappeler que le respect de certaines règles prévaut au résultat escompté.
Dans le flot d’images qui nous assaillent, et des influences qui en découlent chez les auteurs, il me semble que les libraires pourraient êtres également des veilleurs de contrebandiers de la création.
Pour moi un bon libraire (il y en a 😉 doit “tout connaître”, ou au moins en surface, des divers courants artistiques, et ne pas se contenter de vous faire répéter le nom de l’auteur que vous cherchez devant sa base Électre.
J’ai la nette impression que ce genre d’individu devient rare ; il n’y a plus beaucoup d’amateurs éclairés parmi eux qui nous révélerais spontanément ce genre d’imposture.
Un autre question, bien plus pernicieuse se profile : les intermédiaires de la chaîne du livre (de l’éditeur jusqu’au libraire) sont-ils prêts à sacrifier une poule aux œufs d’or ?
tu m’appelles si tu connais des libraires riches !)