
Parcours et Inspirations III
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Après le parcours (ici et là), les inspirations. Et la documentation.
Quand j’étais enseignant à l’école Emile Cohl, j’étais toujours surpris de voir de jeunes arrivants croire gentiment qu’un illustrateur ou un bédéiste se met devant la page blanche et hop, dessine, commence en haut à gauche et finit en bas à droite (je caricature à peine). Idem pour les couleurs, et zou une mise en couleurs… A mettre sur le dos de leur fraîcheur dans le métier et les prémices de leur apprentissage, héhé. La démystification qui allait suivre et le travail considérable qui en découle allaient faire mal.
Mes sources d’inspiration sont diverses et variées. Le quotidien est la principale source, des nuages, un coucher de soleil, une lumière sur un mur, l’écorce d’un arbre, des visages dans le métro, une balade en forêt, etc. L’illustration nécessite un énorme travail d’observation, il faut former son œil à capter le moindre détail, une couleur, la pose d’une main, le contour d’un visage. Avant de commencer le crayonné d’une illustration, je ne fais pas des kilomètres de recherches en petit, des piles de brouillons ni ne remplis carnets et cahiers. Je réfléchis beaucoup à l’image. Un peu comme un travail mental à la loupe. J’ai généralement une « vision » de ce que je veux représenter (comme le mini-essai couleur des elfes). Mais une vision très floue que je vais affiner peu à peu en me creusant les méninges. Je me demande comment seront le ciel, l’ambiance, le décor. Puis les personnages, les roches, la végétation, les éléments, eau, air, etc. Enfin je pousse plus loin la réflexion en me questionnant par exemple sur les vêtements, tuniques des personnages. Celui-ci porte-t’il une broche à sa cape ? Celui-là, a-t’il une doublure à sa veste ? Cette épée reflète-t’elle ce qui l’entoure ? Est-elle matte, usée ? Est-ce qu’il y a de la mousse sur les roches ? Ce qui pourrait donner le sentiment d’un environnement humide ou apporter une touche de vert dans l’image par exemple, etc. J’assemble « mentalement » tout ceci. Ensuite ou en même temps, je me plonge dans mes livres, mes documents, je cherche sur Internet, je regarde des films pour emmagasiner le plus de références possibles et préciser ma vision de la scène. Lui donner corps. Et surtout l’enrichir, la développer pour que le lecteur ait plus un sentiment de justesse et de « vérité » de ce qui est représenté. En plus, en m’immergeant ainsi dans les bouquins & co, certaines images découvertes en appellent d’autres et m’évoquent de nouvelles interprétations de tel ou tel élément, entraînent de nouvelles idées.
J’ai chez moi grand nombre de livres, revues, magazines, catalogues de toute sorte, artbooks d’illustrateurs, bandes dessinées, encyclopédies sur les animaux, carnets de croquis… Je feuillette sans cesse ces livres à la recherche d’indices qui vont titiller mon inspiration, d’images susceptibles de m’aiguiller dans ma création. Il faut que ces sources d’inspiration « infusent » et « déteignent » sur moi. Tout ce travail de recherche sert à enrichir mon imaginaire. Une fois les documentations et sources d’inspiration bien digérées, je peux dessiner dans de bonnes conditions en me concentrant principalement sur l’illustration et son sens.
Mais il faut savoir bien utiliser la documentation. Ce qui est loin d’être évident. Il ne s’agit pas de copier, recopier ou décalquer. Cela n’aurait aucun sens car quand je dessine quelque chose, j’ai besoin de le comprendre. Connaître son articulation, son fonctionnement. Il faut « autopsier » et décortiquer la documentation avant de l’utiliser. Par exemple, une fois une pose assimilée, on peut déplacer un bras, changer la position de la tête, son regard, ses traits, maigrir ou grossir sa carrure sans trop de difficulté. Ou encore comment, sur cette photo, les nuages se teintent en fonction du soleil, ou pourquoi l’eau est plus transparente ici que là. Je recommande d’ailleurs vivement, encore et toujours, la lecture intégrale du blog de James Gurney qui, justement, détaille ce genre de raisonnement, c’est par là (même si – à mon avis et ça peut être très long voire douloureux – une réflexion, seul, sans raccourci ni aide extérieure, sera meilleure et bénéfique).
Pour finir, j’imprime les docs et références trouvées pour les avoir sous les yeux, garde ouverts quelques livres autour de moi et je me lance avec mes crayons.
Suite et fin à propos de la documentation demain…
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Hihi c’est trop bien! Ta démarche de travail est très bien décrite, et bien rationnelle vue d’ici. C’est une grande et sage leçon pour tous les débutants (et même ceux qui ne le sont plus trop…)
L’étudiant trop hâtif que tu cites en début de message, c’etait moi il n’y a pas si longtemps… (sauf que j’ai fait “zéro” études de dessin, mais l’impatience à sauter sur le crayon était la même…) A présent, cette phase de travail préliminaire, qui me gavait profondément, je l’adore! Pour exemple, je dois en ce moment intégrer une locomotive à vapeur de la fin du XIXème à une illustration, et j’ai beaucoup aimé comprendre le système d’entrainement des roues pour le reproduire au mieux. On obtient ainsi une image plus cohérente, plus profonde, et surtout on est content de soi…
J’aurais aussi tendance à dire que cette phase préliminaire de documentation fluidifie le travail du dessin lui-même. Cela devient “plus facile”… Le crayonné ayant été presque entièrement pensé en amont, il ne demande plus qu’à s’exprimer sur le papier. (dans les cas heureux, du moins…) Dans un second temps, le fait d’être ainsi plus à l’aise permet même de pouvoir s’affranchir de cette obligation de véracité (ou de logique visuelle, je ne sais pas trop) pour aller au-delà et progresser encore sur d’autres aspects comme une émotion, ou une ambiance, etc.
Et enfin, cerise sur le gâteau, je trouve que cela enrichit intellectuellement énormément d’intégrer, de digérer cette documentation. C’est toujours agréable, non?!
Héhé. Mais pour changer la pose d’un personnage, il faut être capable de de le faire… Connaître un minimum d’anatomie, etc.
Sinon, c’est VRAIMENT intéressant ta démarche d’explication. C’est un peu l’envers du décors de Vincent Dutrait.
Bravo pour ton site, ton travail, merci de partager, de répondre aux questions…
Serge
C’est marrant, le blog de James Gurney est juste après le tien dans mon flux RSS! Parfois j’imprime ses posts et je les classe pour référence. Il pourrait en faire un livre et se faire de l’argent, mais non il donne tous ces conseils pour rien. Un peu comme toi quoi. Vraiment chapeau.
Question un peu technique, il y a un flux rss sur ce site ? Comment peut-on le récupérer ?
(ah, j’ai rien dit, je viens de trouver… Cela dit, c’est agréable de venir ici, c’est bien conçu.)
Sinon, Vincent, je pense que tu peux classer les messages de ces deux/trois derniers jours à part, je pense qu’ils peuvent intéresser les personnes qui vont dans la section tutos…
Salut Vincent,
Bah, une question avec sans doute une réponse toute faite. Par curiosité et pour comparer à mes habitudes d’amateur. Quand tu commences par réfléchir sur un projet, je pense/suppose que tu crayonnes, dans un 1er temps, un dessin en plaçant tout tes personnages et Co pour voir si la composition fonctionne, si la lisibilité fonctionne. Bref, la question est là, les petits détails qui donnent le dessin réaliste et plein de vie sont réfléchis et ajoutés après que ton dessin esquissé te plaise ? Je veux dire que ton “reflets de l’entourage” de la lame de l’épée, par exemple, ne vient qu’après que ton dessin esquissé marche ?
Pour le flux rss, il est accessible comme tous les autres sites, via la barre d’adresse par exemple ou sinon en toute fin de page, à la suite du bazar et des crédits.
Pour Loup79, une fois avoir bien réfléchi et trouvé de la doc comme je l’ai expliqué, je commence le crayonné par les grandes lignes et affine peu à peu. Mais il m’arrive souvent de faire les différents éléments séparément (comme pour les elfes) et ensuite, je monte le tout via Photoshop.
En revanche, par exemple, pour les histoire de la lame de l’épée, ça c’est quelque chose que je pense aussi en amont. Comment dire, avant de crayonner, l’image est « finie » dans ma tête, bien préparée et ensuite je ne fais « que » dessiner ce que j’ai en tête. D’ailleurs la phase de crayonnade ne m’emballe pas vraiment. C’est une formalité et j’essaie de m’en débarrasser au plus vite (sans faire n’importe quoi bien entendu) pour attaquer les couleurs et là, me régaler.