
Les blogs et les jeunes auteurs
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A près l’état des lieux fleuve d’hier, un autre questionnement qui m’agite ces temps-ci. Les blogs et le phénomène des blogs. Et plus particulièrement ceux de jeunes auteurs et illustrateurs en devenir.
Ce sont souvent des anecdotes personnelles qui m’amènent à ce genre de réflexions. Il y a peu, un éditeur m’a contacté, il n’avait pas vu d’illustrations réalisées par mes soins depuis un bon moment et « jugeait » mon travail, s’en faisait une idée sur un dossier de photocopies que je lui avais adressé il y a bien longtemps. Pas loin de dix ans en arrière. Bon, il aurait pu se décarcasser et fouiner un peu, je suis plutôt « visible », que ce soit sur le net ou en librairie (mais ça c’est un autre sujet). En repensant à ce curieux échange, je me suis rendu compte que, peut-être, je passe à côté de collaborations intéressantes parce que je n’ai pas ou plus contacté certaines personnes depuis longtemps et que leurs docs me concernant ne sont plus du tout à jour. En gros, on risquait de tirer des conclusions hâtives sur mon travail à partir d’images plus tellement d’actualité, certainement en deçà de ce que je fais aujourd’hui ni vraiment dans mon optique du moment. De fil en aiguille, je me suis dit qu’à l’époque, c’était l’ère du dossier de photocopies mais qu’aujourd’hui c’est le blog, le site, qui tient le plus souvent lieu de représentation. Je fais un peu le grand écart mais c’est un peu comme si il y a dix ans j’avais tenu un blog et que je ne l’avais jamais mis à jour (au passage, comme je l’expliquais ici, et sans gloriole, je dois faire partie des premières vagues d’illustrateurs français à s’être lancés dans l’aventure du net en comprenant tôt son influence et ses atouts ; ce qui était loin d’être évident et accessible).
C’est pour ça que depuis quelques temps déjà, je sillonne le net à mon sujet, en mettant à jour galeries, discussions, annuaires et infos. Par exemple, j’ai découvert un passionné peu scrupuleux ou mal informé qui « aspirait » des galeries d’illustrateurs pour ensuite partager, sur son site, l’intégralité de ces images sous forme d’archives compressées. En jetant un œil au contenu de l’archive me concernant, j’ai découvert de très vielles images inégales que j’avais depuis longtemps supprimées de mes galeries.
Attention, il ne s’agit pas de renier son travail, de tenter d’effacer des traces. Mais plutôt, à mon avis, de respecter son travail, le mettre en valeur. Il y a certaines images que j’ai réalisées par le passé qui sont inabouties, bancales techniquement ou pointant des chemins que je n’emprunte plus… Je préfère les garder pour moi et leur ôter toute visibilité pour ne pas perturber la lecture de mon univers, de mes envies et de mes aspirations du moment. C’est une tâche quasi à plein temps de s’occuper de tout ça mais son travail acquiert ainsi une bonne visibilité et le message est clair. Par exemple, auparavant, dans ma galerie, il y avait pas loin de 700 images ! J’étais vraiment pris par le tourbillon Internet et au final, les cartes étaient brouillées. D’où ma récente refonte de la galerie pour cibler, élaguer et focaliser l’attention du visiteur, du lecteur, de l’éditeur sur l’essentiel. J’ai réduit l’ensemble de plus de moitié.
Mine de rien, en silence, je continue d’enlever des images, certaines récentes en remplaçant d’anciennes. Et c’est là que j’en viens à mon idée de départ. En me baladant sur des forums comme CaféSalé, des galeries comme DeviantART ou des blogs de mes lecteurs, j’ai un peu, souvent, le sentiment qu’on partage tout et n’importe quoi. C’est très bien de partager, participer à ces chouettes espaces de création mais il faut savoir garder la tête froide. L’euphorie du net est inévitable et c’est toujours gratifiant de montrer le travail qu’on a fait dans son coin pour recevoir ensuite des pluies de louanges. Louanges tenant plus souvent de la critique facile, de l’autocongratulation forcée que de la vraie analyse, du développement argumenté, du conseil éclairé pour aller de l’avant. J’en ai parlé longuement avec mes étudiants de troisième année à Emile Cohl. Ils tiennent presque tous blogs et galeries et mettent en ligne leurs travaux personnels et leurs travaux d’études. Et c’est là, qu’à mon avis, il peut y avoir une dérive.
A trop vouloir bien – en – faire.
Dans quelques mois, l’été passé et le diplôme en poche, ces étudiants vont faire le grand plongeon dans l’univers impitoyable de l’édition. Je développe. Au stade où ils en sont, ils sont en pleine ébullition, on le constate sur une année. Les progrès sont fulgurants, les changements de direction parfois abrupts et les remises en question quotidiennes. C’est le lot de tout jeune auteur. On creuse, on se cherche et on jette les bases de son petit édifice. Imaginons un étudiant tout frais qui rencontre un éditeur en septembre. Son travail plaît, l’éditeur est tenté mais il préfère attendre que les preuves soient faites. Le temps passe. Quelques mois plus tard, une nouvelle collection pointe son nez chez l’éditeur et il va se souvenir de la personne rencontrée auparavant. Avec en tête les travaux récents de l’étudiant maintenant illustrateur. Il cherche sur le net, trouve assez vite le blog du jeune padawan et là tombe sur des travaux d’études. Travaux pas forcément bien répertoriés ni commentés. Imaginons au pire une galerie avec les images brutes, sans dates ni informations détaillées. Par exemple, en tombant sur des travaux dits d’études, cet éditeur risque de se faire une image faussée du travail de l’illustrateur. Travaux peut-être inachevés, pas bien maîtrisés, bancals, non publiables en l’état, etc. C’est là une situation extrême, au pire. Mais…
C’est pour cela que je ménage souvent le net à propos de mes images, que je réfléchis longuement à où et comment les présenter. Je suis très méfiant vis-à-vis de la mémoire d’Internet, voire inquiet. L’ami Google ayant par exemple une mémoire sélective un peu curieuse. J’ai lu ceci dernièrement : « Google a tendance à répondre aux recherches par des résultats triés suivant leur popularité et non leur qualité ». Pourquoi pas, mais la popularité n’est pas forcément un gage de qualité, ça peut faire mal.
Je conseille à celles et ceux qui démarrent et démarchent d’être très prudents avec ce formidable outil Internet qui, bien utilisé, peut se révéler indispensable et capital (pour info, la très grande majorité des nouveaux éditeurs qui me contactent le font tous via Internet et découvre mon travail ainsi). Tout d’abord, tenir à jour son blog, sa galerie et alimenter régulièrement, faire un peu de ménage, les nouveaux travaux remplaçant les anciens. Surtout ne mettre en avant et ne présenter que ce qui représente le mieux son travail, ses ambitions et ses univers. Ne pas hésiter à envoyer ces nouvelles images aux éditeurs, même si on peut ressentir de la gêne, il faut se tenir à jour et le faire pour les autres. Donner à son travail toutes les chances d’être vu, dans de bonnes conditions et le porter vers l’avant. Encore une autre gymnastique qui prend du temps et de l’énergie. Mais c’est tout bénéfice et surtout c’est, à mes yeux, une marque de respect pour les lecteurs, les éditeurs et pour son travail, son œuvre.
Merci à Martin Vidberg !
P. S. :
Tout ceci me fait penser à autre chose que je détaillerai plus tard. A propos de la visibilité des images sur le net. Chacun à son propre écran et ses propres réglages de couleurs. Une image peut être nickel sur son écran et tirant sur les verts ou les rouges ailleurs… Je suis peut-être maniaque, un poil trop exigent ou perfectionniste mais comment présenter au mieux ses créations si chacun les voit différemment ? Combien ont des écrans calibrés ne dénaturant pas les gammes colorées, justes et fidèles ? A suivre…
« Etat des lieux et pérennité |
| Espace de travail »
Il va peut-être falloir faire du lobbying pour faire voter une loi obligeant les possesseurs d’écrans à les calibrer… 😀
Il y a quelque chose dont tu n’indique pas suffisamment l’importance dans ce billet, c’est l’intelligence du propos.
Effectivement donner une vision cohérente de ton univers, donner à voir ce que tu veux que les gens retiennent est bien évidemment très important.
Je soulignerais tout de même l’importance de l’orthographe, de la profondeur des réflexions (très bien illustrée par ce billet d’ailleurs) et du professionnalisme apporté aussi bien au contenu qu’au contenant du Blog. Les jeunes illustrateurs dont tu cite l’exemple manquent souvent, au début tout du moins, de recul sur la présentation de leur travail et doivent apprendre quelques notions de marketing avant de prendre conscience de l’importance que cela revêt. Trop souvent on rencontre des blogs de professionnels qui sont traités comme des blogs d’étudiants, dans lesquels les fautes d’orthographes sont légions et les propos peu étayés.
Tout le monde n’a pas non plus les compétences que tu possèdes en plus de ta profession directe.
La vidéo (les tutoriels), l’infographie (utilisation des logiciels de création mais également la conception d’un Blog/Site internet, etc.).
Et tout le monde n’a pas non plus la curiosité qui va t’amener à chercher de nouveaux moyens de communication, ni l’envie de jouer avec (il y a plein d’exemples ici, mais le premier qui me vient à l’esprit est l’utilisation du mur d’images) .
Tout cela pour dire que malheureusement, à la sortie de l’école (d’une école), les jeunes illustrateurs qui brûlent de faire leurs armes devront quoi qu’il en soit prendre le temps d’élaborer une stratégie, il ont besoin de temps pour se positionner, réfléchir à la façon dont leur travail peut être perçu ou qu’il veulent que les gens perçoivent.
Mais il ont un avantage indéniable sur toi. Il ont désormais un modèle d’inspiration. 😆
D’ac, merci Serge, mais tout ça s’apprend, en solo, c’est possible. C’est un apprentissage long et douloureux. Ca demande encore un effort à fournir, un gros investissement qui, sur le long terme, est payant, gagnant. Mais bien sûr, il faut franchir le pas et ensuite tenir la barre. Je me souviens que même aux premiers balbutiements de mon site ou de mon blog, j’ai toujours essayé d’aller de l’avant. Par plaisir et aussi, surtout, par respect pour les lecteurs et pour mon travail, comme je l’écrivais plus haut. Par exemple, et ça prend du temps, même si ce n’est pas vraiment mon domaine, je me tiens informé de tout ce qui se fait en infographie, voire même en 3D, en jeux vidéo, histoire de suivre le mouvement et ne pas me retrouver larguer sous peu…
D’ailleurs on me demande souvent « mais comment fais-tu pour faire tout ça ? Tenir le rythme, etc ? Moi ma copine elle me virerait si je faisais ça, etc… » Je pense que le travail d’illustrateur ne peut se glisser dans le moule du « métro, boulot, dodo ». C’est n’est pas compatible avec un schéma de vie dit « classique ». C’est tellement profond, immersif et le travail avec les éditeurs (encore plus quand c’est avec des éditeurs étrangers) c’est quelque chose qui remue en permanence. Et il faut absolument se tenir à disposition, pour ne pas louper le coche et se tenir à flots.
C’est quelque chose dont nous avons longuement et souvent discuté avec mon épouse. Le fait que je bosse comme un dingue pendant certaines périodes, soirs et weekends. Mon épouse a bien les pieds sur terre et ne m’embête jamais avec ça. Car elle sait que l’équation fonctionne. Je bosse beaucoup, on se voit forcément peu. En même temps nous sommes tous les deux toute la journée à la maison, ce qui aide beaucoup. Cette entente me permet de produire un peu plus et mettre en avant mon boulot. Et qui dit meilleure visibilité et meilleure présentation dit peut-être, certainement, plus d’opportunités, une bonne communication, de bonnes relations. Et qui dit plus de collaborations dit forcément plus de revenus, une certaine stabilité. Et plus de sécurité sur le plan financier annonce de meilleurs lendemains. Et je me reposerai et prendrai du temps avec ma famille à un autre moment. Un rythme particulier qui m’a permis par exemple l’an passé de ne quasiment pas bosser pendant l’été et passer un mois en Corée à la fin de l’automne, tranquille, la clef et les emails sous la porte.
Ces derniers mois furent particulièrement difficiles pour tenir le rythme et j’en ai aussi parlé avec ma fille, de 4 ans. Pour faire le point. Je lui ai expliqué en détail en quoi consistait mon travail, pourquoi je ne pouvais pas toujours répondre à ses attentes et ses demandes, etc. Ce qui a donné ceci dans la conversation :
« – Dis donc Line, je fais quoi comme travail ?
– Papa il fait des dessins et des peintures pour les livres.
– Et pourquoi je dessine pour les livres ?
– Ben, en fait, en fait, pour gagner des sous.
– Ah bon ? Et pourquoi je dois gagner des sous ?
– Ahlala, mais alors, pour m’acheter plein de cadeaux ! »
Je m’inquiétais qu’elle se tracasse de ces moments pas toujours évident à gérer mais c’était en fait plutôt clair dans sa tête, quelle lucidité ! 😀
J’adore… les enfants sont tellement clairvoyant de nos jours 😀
Oulala! Que voilà une réflexion qui me donne de beaux complexes (mon blog est quelque peu bordélique et bourré de fautes 🙄 ). Mais c’est une réflexion vraiment très intéressante!! J’ai eu mon premier contrat grâce à mon blog et voilà deux ans que je travaille non stop. C’est pour de la bd mais ça rejoint l’illustration. Quand j’étais étudiant je suivais quotidiennement ton blog et dès en sortant de l’école j’ai eu envie de faire le miens. Il est loin d’être parfais (tout comme mes dessins 🙄 ), car je suis vraiment un piètre écrivain et je n’y connais rien en web. Bien souvent, mes propos sont d’une trop grande légèreté et mes collègues viennent poster quelques commentaires douteux. Mais ce que tu viens de raconter là va surement changer ma façon d’aborder le monde du blog.
Tu vois même passé pro je viens encore toutes les semaines lire tes bons conseils, encore merci 🙂 !
Une réflexion fort intéressante, et qui mériterait d’être un peu plus souvent abordée.
Très franchement il y a 70% de la blogosphère qui est à mettre à la poubelle.
Le net a rendu accessible ce qui ne l’était avant que par la qualité. Tu te dis auteur de BD, musicien, peintre ou que sais encore? Il te fallait le prouver par la qualité de tes créations pour entrer dans cette “grande famille”. Le fait d’etre publié était en soi un gage de qualité et de professionnalisme ( plus maintenant, mais c’est un autre débat ).
Aujourd’hui n’importe quel couillon peut créer son site, son blog, claquer des oeuvres médiocres en se “prenant pour” parce qu’il le décréte. Le tout soutenu par la famille et les amis qui ne tariront pas d’éloge sur le pseudo artiste visible dans la “lucarne”.
On est tellement dans le paraitre que les gens ne savent plus se contenter d’etre eux memes, ils leur faut absolument avoir des qualités que bien souvent ils n’ont pas pour se “montrer”. Ca en devient donc ridicule et surtout fatiguant. Un exemple parmi des millions, je cherchais un portraitiste sur le net. Tapez le mot “portraitiste” sur google, 80% des sites de peintres soit disant pros et portraitistes ne sont memes pas dignes en qualité de ce que ferait un éléve en dessin au collége. Il faut donc arreter de se foutre du monde. Heureusement qu’on ne soigne pas encore via internet car le génocide ne serait pas loin.
Car autre gros problème, tout le monde peut se prétendre “artiste, peintre, musicien, etc…”. Comment le vérifier? La seule indication valable étant celle des travaux proposés. Mais là encore, vu le nombre croissants de pillages sur le net comment séparer le bon grain de l’ivraie? Mettez un gars qui se prétend pianiste devant un piano, il ne pourra pas tromper son monde longtemps. Sur internet comment mettre les menteurs, les orgueilleux, les usurpateurs en porte à faux?
Je suis pour le net comme vitrine d’artiste confirmée comme Vincent par exemple qui ne trompent pas sur la marchandise. Mais fatigué de chercher pendant des heures les “vrais” artistes tant le net et pollué par des blogs et sites médiocres juste pour satisfaire l’égo de leur créateurs.
Bonjour,
Je suis rédactrice en chef d’un petit journal de fac (université Rennes 2) et nous faisons un article sur facebook. Serait-il possible d’utiliser cette magnifique illustration (en mettant un copyright et le nom de l’auteur, bien évidemment) ?
Merci d’avance !
N’étant pas l’auteur de l’image, je ne peux pas faire grand chose, le plus simple serait de contacter Vidberg directement : http://vidberg.blog.lemonde.fr.....-facebook/
Ayant suivi vos interventions à Emile Cohl du coin de la salle informatique située à côté des troisième année illustration, j’ai beaucoup apprécié cet article. Je reconnais bien dans votre description le blog que j’ai tenu au sortir du diplôme 2009!
Dans tous les cas, merci pour la pertinence de vos interventions, qui permettent de sortir les élèves de leur bulle!
Bonne continuation et bravo pour votre travail.