
L’angle Playmobil
Il y a quelque chose qui m’a toujours amusé voire fasciné dans le dessin. Ou plutôt dans l’approche de la perspective. Je l’ai remarqué fréquemment au fil des ans en donnant mes cours à l’école Emile Cohl, surtout quand je m’occupais des classes de Probatoire, les plus jeunes. On le constate aussi souvent chez les dessinateurs en herbe et surtout chez les personnes qui ne dessinent pas ou peu et qui prennent un jour un crayon.
C’est ce que j’appellerais « l’angle Playmobil ». C’est un point de vue en perspective bien particulier. Un angle légèrement « vue de dessus ». Pas complètement au zénith, autour de 60 ~ 70°. Je suis très étonné de voir beaucoup d’étudiants en début d’apprentissage représenter systématiquement ce qu’ils ont à dessiner sous cet angle curieux (et j’en suis aussi passé par là !).
Bien évidemment une vue de dessus peut se justifier et s’avérer capitale. Une plongée, c’est un angle bien particulier utilisé dans l’illustration, le cinéma ou la bd. Via la plongée, par exemple et en bref, on peut donner un impact psychologique à une image en « écrasant » les personnages ou la plongée peut avoir une fonction topographique pour décrire un lieu, un espace et mieux faire comprendre les déplacement d’un personnage d’un point à un autre, etc etc. Mais c’est une autre histoire, plongée, contre-plongée, cadrage…
Ce qui m’a titillé, c’est autre chose. Une sorte de réflexe. A force de voir passer régulièrement des planches d’exercice de BD avec ces perspectives plus ou moins vues de dessus, je me suis questionné et j’avais l’impression qu’on me tenait la tête penchée vers le bas à chaque case. Cela en devenait pénible et je pestais. En plus, les personnages sont, eux, généralement représentés sous le bon angle dans la scène, avec une perspective correcte, ce qui donne des images vraiment bancales.
Je me demandais pourquoi l’espace était ainsi représenté. Alors que dans la plupart du temps, des plans lambda à hauteur d’yeux voire plus téméraires, en légère contre-plongée, auraient été beaucoup plus pertinents et « logiques ». Qu’on voit un peu de ciel bon sang, un peu d’horizon et de profondeur car là, la plongée n’était jamais justifiée…
Je me leurrais en ne pensant que technique et code de narration non assimilés alors qu’il fallait chercher du côté de la psychologie de l’enfance. Si, si.
Il y a peu donc, et je suis désolé de ne pas arriver à remettre la main dessus, j’ai lu une étude qui expliquait cette angle de vision quasi-inconscient. C’est celui de l’enfant. Celui de l’enfant assis sur son tapis, dans sa chambre, qui joue avec ses jouets. C’est le regard de l’enfant sur son monde et son imaginaire. Une vue légèrement vue de dessus qui n’a pas vraiment d’autre sens ni de signification que celle-là. Certains débutants aux conceptions pas assez mures, aux esprits frais et malléables, tentent de représenter ce qu’ils ont imaginé avec un regard et des codes qu’ils ne se sont pas encore appropriés et ce qui sort instinctivement, ce serait cette représentation difficile à explicitée car trop machinale.
Je trouve que ça se tient et j’en ai eu une forme de confirmation en observant les étudiants avec cette idée en tête. J’ai remarqué par la suite, en cours d’année, que celles et ceux qui atteignaient les premiers une forme de maturité culturelle en utilisant – entre autres – plus de documentations, en s’inspirant et en se référant à d’autres, en affirmant leur personnalité, se détachaient peu à peu de ce « tic » irrépressible.
Et plus ils se développaient personnellement, assuraient leur technique et formaient leur œil et plus on trouvait dans leurs images des cadrages et angles de vue crédibles, justifiés et censés. En revanche, ceux qui avaient des réactions et un comportement moins adulte, poursuivaient dans leur représentation sous un angle… divin.
Car l’étude allait même plus loin en suggérant qu’il y avait aussi certainement une part symbolique forte dans cette perception qui dépasse celle de l’enfance. Une forme jouissive de puissance, de manipulation d’êtres inférieurs, qui se répercuterait dans la création (à la manière de l’ancestral jeu vidéo « Populous » pour les plus vieux d’entre nous). Mais bon, là on s’éloigne de ce qui me trottait dans la tête.
En tout cas, je me dis que le franchissement de ce cap, passer de cette vue de dessus à quelque chose de plus raisonné, peut révéler un épanouissement dans le monde adulte de l’artiste et une certaine forme de rationalité.
En écrivant ces lignes, je m’adresse plutôt aux dessinateurs en devenir. Pensez à représenter le monde sous un angle motivé que ce soit celui de l’auteur qui s’exprime ou celui de votre personnage !
Et surtout relevez la tête ! 😉
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Merci pour cet interessant point de vue. C’est toujours un voyage interessant de se demander pourquoi les élèves font souvent la même chose, empruntent le même “passage obligé”…
Même sans aller chercher des causes psychologiques (très intéressantes d’ailleurs), lors de l’apprentissage et notamment à Cohl, on prend l’habitude d’avoir sous les yeux, devant nous, sur la table (à un angle de 60/70°) ce que l’on doit représenter : je pense en particulier aux études documentaires. Et puis les débuts en BD, on apprend les différents plans dont le fameux plan d’exposition que l’on retrouve genre 30 fois dans un album et dont la plongée est la parfaite solution pour le débutant…
Avec quoi as-tu réalisé la 3D ? Un projet en route ?
C’est aussi pour ça que me tue à répéter qu’il ne faut pas travailler « penché » sur sa feuille mais le plus « droit » et relevé possible. Avec une cale sous sa planche par exemple.
Tout simplement car sur des personnages, cela peut donner de curieuses anamorphoses. Visages et corps étirés que l’on découvre avec stupeur une fois le support redressé.
Et la 3D c’est un petit coup de Google Sketchup avec un modèle de château trouvé vite fait sur le net. Bien pratique 😉
Oui, Sketchup c’est pratique pour ce genre de choses (et pour les frites aussi, mais je m’égare ^^).
Étonnante manie que cet angle de vue Playmobil ! Bizarrement je ne l’ai jamais utilisé, au contraire je plaçais mes paysages d’un point de vue “humain” c’est à dire près du sol (comme moi… je fais 1,61 m 😛 ). À part pour, comme l’a dit Serge, les plans d’exposition si utilisés en BD ! Avec une petite bulle-texte-d’intro, et tout y est. 😀
édifiant, merci!
je le fais aussi parfois mais je ne saurai plus dire si c’est par souci narratif ou complexe du playmobil.
Et la perspective Lego ?
Et les couleurs Barbie ?
Je trouve ça léger comme constat. Pourquoi pas une théorie sur le gros plan ou la contre-plongée quasi-inconscients eux aussi. Apparemment, cette sacrée notion de maturité vous fait dire bien des choses…peu convaincantes et dont on serait en droit après tout de douter de la maturité. Dessiner des dragons, des chevaliers et des châteaux forts, ce ne serait pas un tic, ça non plus?
Hmmm… Comment dire, tout d’abord il s’agit là d’une réflexion et surtout d’un questionnement à partir de quelque chose que j’avais remarqué en enseignant (et je ne suis pas le seul) et qui faisait écho à des études sur le comportement. Et surtout sur la perception du monde et de sa représentation.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit, tout comme un enfant qui dessinerait systématiquement un tronc d’arbre marron et découvrira plus tard, l’œil plus formé et l’expérience aidant, qu’un tronc d’arbre n’est pas toujours marron. Pareil pour un feuillage qui avec le temps passera d’un vert lambda à quelque chose de peut-être plus « juste » et réfléchi.
Et le parallèle avec les dragons & co ne tient pas vraiment la route car je dissertais sur la représentation de ce qui nous entoure et pas sur ce qui est représenté. Nuance 😉
Oui, c’est vrai qu’il y a une nuance. Il s’agit de jeunes en apprentissage mais tout de même je trouvais cette idée un peu culpabilisante pour les gens pratiquant la BD ou utilisant cette vue. Pourquoi les étudiants utilisent cet angle plus que d’habitude selon vous? Envie de tout montrer? Peur de passer à côté de quelque chose? Ma foi…Il y a tant de mauvaises habitudes chez les débutants, et c’est bien naturel. Et puis une fois adulte, je persiste à croire que de nouveaux tics peuvent remplacer les anciens! 😉
Je me dis que tu es passé à côté de l’article car il ne faut pas le voir ni le prendre ainsi. Ce n’est ni péjoratif, ni culpabilisant, ni un défaut, ni une mauvaise habitude et encore moins un tic.
Comme je l’ai écrit, ce n’est pas non plus une envie de tout montrer ou la peur de passe à côté de qq chose mais plutôt un réflexe naturel, une représentation spontanée de l’espace (qui daterait de l’enfance). Les jeunes étudiants qui dessinent ce genre de cadrage ne s’en rendent même pas compte et ne le font pas exprès. Je l’ai encore remarqué depuis la rentrée dernière.
Évidemment on peut et il faut utiliser cette vue. Mais de manière contrôlée, justifiée et surtout que ça ait du sens.
Quand on demande dans un sujet à étudiant de représenter un personnage qui traverse par exemple une salle de musée et qu’on se retrouve avec le nez vers le bas dans toutes les cases, c’est curieux. Et quand on questionne sur le pourquoi du choix de cette vue, il n’y a généralement pas de réponse construite. Ça ne rime à rien.
Alors qu’on pourrait avoir une contre-plongée pour montrer la hauteur de plafond, une – véritable – plongée pour re-situer le personnage sur son parcours, un gros plan pour montrer son étonnement devant tel ou tel tableau, etc etc…
D’où l’idée que la maturité et le renforcement de son imaginaire, de sa culture, aide à avancer. A se détacher de cette représentation machinale. En gros, plus l’œil sera habitué à voir autrement et à penser autrement, de manière réfléchie et plus le travail tendra vers quelque chose de plus cohérent et fondé.