
Vous avez dit absurde ?
Dernièrement, j’ai lu deux livres excellents, Les décisions absurdes et Les stratégies absurdes.
Le premier est deux fois plus épais et plus dense que le second qui me semble sensiblement plus accessible et peut-être un peu plus facile à lire.
Les stratégies absurdes c’est un inventaire impitoyable des fausses bonnes idées de l’idéologie managériale. Un patron décide d’organiser une compétition permanente entre ses salariés et remarque qu’une bonne partie d’entre eux commencent à saboter le travail de leurs collègues. En janvier, un autre fixe un objectif annuel à ses employés et constate qu’ils ne se mettent vraiment à la tâche qu’en septembre et qu’ils bâclent le travail…
Le point commun de ces histoires est presque toujours le même : l’idéologie managériale et ses méthodes, ses indicateurs de performance, ses dispositifs d’incitation et de sanction. Maya Beauvallet en propose ici à la fois le bêtisier le plus savoureux et l’analyse la plus implacable.
Et les décisions absurdes traitent des individus qui prennent collectivement des décisions singulières et agissent avec constance dans le sens totalement contraire au but recherché : pour éviter un accident, des pilotes s’engagent dans une solution qui les y mène progressivement ; une entreprise persévère dans l’usage d’un outil de gestion au résultat inverse de l’objectif visé…
Quels sont les raisonnements qui produisent ces décisions absurdes ? Les mécanismes collectifs qui les construisent ? Quel est le devenir de ces décisions ? Comment peut-on à ce point se tromper et persévérer ? Ces questions, auxquelles Christian Morel répond grâce à une analyse sociologique aux multiples facettes, conduisent à une réflexion globale sur la décision et le sens de l’action humaine.
Tout est dit. C’est édifiant et passionnant, la sociologie des erreurs radicales et persistantes et comment faire pire en croyant faire mieux. Les deux livres se complètent et se répondent souvent. Même si les exemples autour de la productivité et de la rentabilité obstinées voire de la culture acharnée du résultat sont en majorité tirés du monde de l’entreprise et du management, on peut aisément retrouver ces (dys)fonctionnements dans le monde de l’édition qui est, à mon avis, loin d’être épargné.
Je trouve que cela aide grandement à mieux comprendre les travers de nos métiers et les conséquences imprévisibles qui peuvent découler d’un manque de recul. Ces réflexions permettent de s’armer contre les idées reçues et les mécanismes qui tournent autour de l’efficacité à tout prix voire à n’importe quel prix. En bref, après ces lectures, j’ai mieux compris comment on a pu en arriver là et surtout je pense désormais pouvoir mieux anticiper une décision bancale ou une prise de position irréfléchie. L’esprit plus vigilant et raisonné.
Ça ne devrait pas être amusant mais je souris maintenant plus souvent que d’habitude en découvrant certaines propositions de projet ou en lisant certaines annonces… L’absurde n’est jamais très loin.
P. S. :
Merci Isa 😉
« Artbook, docs et références, encore #3 |
| Manabé Shima »
Je te propose aussi la lecture de “Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens” de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois qui est, dans la même veine, un vrai plaisir de lecture !
Chouette merci ! Et si avec tout ça on ne devient pas maître du monde ou si on n’arrive pas à monter une arnaque digne de Madoff, c’est qu’on a rien compris !
Ah ouais ça a l’air bien, je vais les commander tiens.