
Tschak !, #1 : les aventuriers
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J’ai passé une bonne partie de l’été avec Gameworks et Sébastien Pauchon… sur Skype, pour mettre en place et finaliser Tschak ! qui sortira à Essen 2011, dans les prochains jours.
Tout comme pour Shitenno (que je présente ici), j’ai pu participer activement et créativement au développement de Tschak !. C’est de coutume avec Gameworks et j’ai été enchanté de pouvoir remettre le couvert après les enrichissantes et gratifiantes aventures Water Lily et Tikal II.
Je vais m’attarder sur ma participation au jeu, c’est-à-dire tout ce qui touche aux illustrations et à leurs fonctions. Je vous invite à parcourir cette page, ici sur TricTrac, pour en savoir plus sur les mécaniques et le déroulement d’une partie.
Prendre en main les joueurs…
A première vue, c’était assez simple : mettre en images un jeu accessible et « familial » tout en s’inspirant des canons du genre heroic-fantasy comme « Donjons & Dragons » pour n’en citer qu’un. Mais, mine de rien, ce ne fut pas évident de trouver le bon ton et de bien positionner le curseur car nous souhaitions éviter que le jeu ait l’air de ne s’adresser qu’aux puristes ou aux amateurs de jeux de rôles ou uniquement aux adeptes du « dungeon crawling ». D’autant plus que j’ai déjà fait mes armes dans ce domaine mais encore jamais dans cette démarche ni de cette manière.
Nous avons imaginé un mélange entre des personnages sérieux, au premier degré, d’autres complètement décalés voire déjantés et à certains à mi-chemin entre les classiques du genre et les références à notre culture populaire. Cette tambouille et cette ambiance décontractées permettant certainement à chacun de mieux s’y retrouver et/ou de s’y reconnaître et je me suis dit qu’ainsi le thème du jeu ne fera ni barrage ni obstacle (ce qui, malgré tout, arrive souvent pour bon nombre de jeux aux thèmes inadéquats ou mal définis).
Pour le fun mais aussi pour titiller les atomes crochus, j’ai truffé les illustrations et personnages de clins d’œil, privates jokes, entorses aux codes du genre, petits détournements et inspirations diverses. La liste est (très) longue et je me garderai bien de la dévoiler. Ce qui m’amuse d’ailleurs le plus, j’en ai tellement mis de partout, c’est que finalement les joueurs cherchent le plus souvent des plaisanteries et références là où il n’y en a pas du tout !
Donner du sens…
Sur le fond, j’ai beaucoup réfléchi à la manière d’aborder les personnages pour les dynamiser ou plutôt pour qu’entre eux, ils se stimulent et se tonifient. En partant de l’idée que quand on confronte ou que l’on juxtapose des personnages très terre-à-terre bien ancrés dans leurs univers et manquant furieusement de sens de l’humour à d’autres complètements « débilous », cela renforce leurs différences et accroît leur effet.
Ces contrastes induisent une forme d’échelle, de gradation entre les personnages. Par exemple, pour qu’un faible ait vraiment l’air maigrichon et gaffeur, il faut à l’autre extrémité du panel, un fort surpuissant et terrible. Et ainsi de suite et inversement. Si tous les personnages étaient traités de la même manière, avec la même patte, ils risquaient de ne pas « décoller » voire de s’annuler entre eux, perdant leur force.
Ergonomie et lecture du jeu…
Pour amplifier ce sentiment, j’ai proposé une petite astuce visuelle : plus le personnage est costaud (rapportant beaucoup de points) et plus il fonctionne « au premier degré » et surtout en gros plan, emplissant au maximum l’espace, ne laissant apparaître que peu de couleur de fond. Et à l’opposé, plus le personnage est faible et plus on le représente « petit » dans la carte et plus il fera le zouave.
Ce qui donne pour les cartes à petits points, des personnages plutôt amusants et en pied. Pour les points intermédiaires, des personnages « semi-fun » en plan américain ou rapproché et pour les gros scores, on ne rigole plus du tout et la surface de la carte est presque bouchée.
Ainsi, les équipes formées se révèlent très hétéroclites. Quand on abat ses cartes, on découvre alors de surprenantes combinaisons, un sosie de Conan le barbare aux côtés d’un véritable nain de jardin ou encore un sorcier effrayant et agressif compagnon d’un ersatz de Luke Skywalker affublé d’un couteau suisse… Je me suis quand même bien gardé de partir dans des délires complètement hermétiques pour que l’ensemble soit bien identifiable et puisse être « lu » et interprété facilement.
Un autre aspect et pas des moindres, en proposant de zoomer sur les personnages en fonction de leur puissance, cela permet aussi aux joueurs de se faire instantanément une idée de ce qu’ils ont en main après avoir ramassé leurs cartes (comme vous pouvez le voir sur le déroulé des cartes du jeu en fin d’article). Même si, ensuite, les chiffres et les points priment, plus on a en main des cartes remplies et plus on a de chance d’avoir décroché un bon jeu. Ça tient à pas grand-chose mais avec Gameworks nous avons le souci du détail et on aime bien pousser les réflexions jusqu’au bout et jusqu’à bien tard dans la nuit 😉
Il y a aussi un détail important sur les personnages. Les joueurs seront départagés en fonction du nombre de points mais en cas d’égalité, ce sont les moyens de combattre des personnages qui feront la différence. Par exemple, chez les sorciers, ceux qui ont un bâton en main sont toujours supérieurs à ceux qui n’en ont pas, chez les nains, les haches dominent les marteaux qui eux écrabouillent ceux qui se battent à mains nues, etc. Ces attributs permettent de lier les illustrations au fonctionnement du jeu et de leur faire dépasser leur simple aspect illustratif.
Ce qui n’est pas si évident pour un jeu de cartes et je trouve qu’il y a encore des jeux où on pourrait aisément se passer des illustrations, où finalement tout se résume à des couleurs et à des chiffres. Cette interaction est difficile à caler et surtout elle doit se justifier et faire sens.
Une anecdote et un peu d’autocongratulation…
Dans le jeu, il y a quatre cartes dont je ne suis pas peu fier. Quatre cartes qui, abattues, permettent de s’approprier les points du sorcier le plus puissant présent chez ses adversaires. A l’origine, nous avons pensé à des sorciers « shapeshifter », des métamorphes changeant d’apparence. Mais à mettre en images, c’était compliqué techniquement car on peut se retrouver face à un personnage féminin ou masculin, puissant ou non, petit ou grand, etc, ce qui dépend du jeu des autres joueurs.
Brainstorming, remise à plat et pourtant ce n’était pas compliqué voire évident. Je me creusais les méninges listant tout ce qui peut se transformer et surtout comment le représenter pour que les joueurs puissent s’immerger pleinement dans le jeu et se faire une idée bien précise des capacités de ces sorciers. Et là aussi, il fallait que ce soit défendable et que ce ne soit pas gratuit.
Des mutants avec des têtes à plusieurs facettes ? Ou carrément plusieurs têtes évoquant les autres sorciers du jeu ? Ou encore en jouant la suggestion et la farce avec des sorciers aux allures de T-1000 ?
Nada, retour à la case départ en se mettant dans la peau d’un joueur lambda qui n’aurait aucun de ces codes en tête. Et puis voilà, le déclic : ce n’est pas tant l’idée de transformation qu’il faut mettre en avant, nuance, mais plutôt la copie, l’imitation, le mimétisme. Et qu’est-ce qui dans la nature est capable de changer d’aspect ?
Des caméléons ! C’était exactement le concept dont nous avions besoin, adhérant pleinement au fonctionnement de ces cartes. Tout le monde connaît les compétences des caméléons et peut les identifier facilement. Il ne restait plus qu’à leur donner du caractère, une sorte d’obscure secte de mini-sorciers timbrés, avec ici aussi de petites jokes 😉
Donner une identité et du style…
Avec Sébastien Pauchon, nous avons opté pour des cartes simples et efficaces en évitant par exemple les typos stylées médiévales ou des habillages surchargés à la thématisation trop appuyée. Tout simplement car il s’agit d’un jeu de cartes, que ça va vite, ce doit être limpide et que nous ne sommes pas là pour contempler et dépeindre tout un univers ou un environnement particulier ou encore pour raconter toute une histoire.
C’est là qu’il faut savoir garder la tête froide et bien se souvenir de ce qu’on est en train de fabriquer, à qui on s’adresse, pour quel propos, à quelles fins, etc. Donc nous sommes allés à l’essentiel avec des fonds sobres, une couleur, pas de fioritures. Une belle typo, claire et bien en accord avec les images.
En essayant d’éviter un aspect arc-en-ciel ou sapin de Noël, j’ai travaillé chaque personnage bien distinctement pour donner du caractère et du vécu à chacun. Que ce soit par une attitude, des détails, un costume, une expression, des couleurs, etc. Il fallait que les aventuriers soient tous différents et qu’au sein de chaque groupe, on ne sente pas de « sous-groupe » du genre « les nains des glaces » ou « les guerriers de l’ordre de je ne sais quoi ». Ceci pour que ne pas parasiter le jeu et le comptage des points, éviter des croisements ou allusions qui n’ont pas lieu d’être (parfois à trop vouloir en faire on risque de tout foutre par terre).
En bref, que ce soit homogène sur la forme et cohérent sur le fond… et tout différent. Travailler avec les suisses c’est pas toujours évident, héhé. Blague à part, on se retrouve au final avec pour chaque carte, une personnalité bien particulière et un impact, un sens différent.
Nous avons été agréablement surpris – et ravis ! – de découvrir auprès des premiers joueurs qu’il en découle une verbalisation inattendue et bienvenue. Très vite, les joueurs ne pensent plus aux cartes comme des « 5 bleu », des « 3 rouge » ou « 4 vert ». Mais s’expriment autour de la table en cherchant par exemple la sorcière blanche, le nain kung-fu panda ou encore le prince charmant à la Disney.
Au fil des parties, on finit par leur donner des petits noms et on se souvient de la valeur en points de chacun. Ce ne serait certainement pas la même chose si on avait douze fois le même genre de personnage avec le même cadrage, simplement dans des positions différentes…
Voilà le fruit d’une collaboration efficace et constructive et je pense que nous avons atteint un bon rapport entre le fond et la forme, entre la mécanique du jeu et ses illustrations. En espérant que les joueurs ne nous contrediront pas 😉
Fin de la première partie que je complèterai par d’autres articles sur les monstres, la couv, etc.
Désolé pour la longueur mais j’ai un peu de mal à synthétiser le processus et toutes ces réflexions.
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Arf… Un raccourci clavier de travers ou une fausse manip, je viens de m’apercevoir que les commentaires de cet article étaient clos…
Super sympa. C’est fun et cela donne envie de connaître les personnages.
Et en plus Gameworks propose un galerie des illustrations.
Beau boulot.