
Tikal 2, #1 : le plateau
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Je peux vous dire tout de suite que le plateau de Tikal 2 c’est pas de la rigolade !
Une surface ouverte de 70 x 55 cm, plusieurs niveaux de jeu, une sacrée dose d’ergonomie et une lisibilité qui se doit d’être sans faille. Un ensemble qui me fit frémir car c’est LE support du jeu.
La barre était très haute.
Topographie et brainstorming…
Dans un premier temps, chez Gameworks, ils ont étudié différentes possibilités et agencements pour placer au mieux les nombreux éléments de jeux, avec le temple vu de dessus (salles, cartes, sites, rivière, trésors, etc). Voilà ci-dessous quelques-unes des – très – nombreuses variantes de mise en page. A ce stade-là, j’ai plutôt aidé pour donner du sens et raconter quelque chose avec tout ceci. Que le plateau fonctionne parfaitement avec les mécaniques du jeu et qu’il permette aux joueurs de se projeter.
Nous avons finalement porté notre choix sur cette version, l’aboutissement de toutes les réflexions précédentes. L’équilibre entre les différents éléments semble cohérent et fonctionne : il y a assez de placer pour jouer, suffisamment de matière et d’illustration pour porter le thème et donner vie au temple. Avec dans l’idée qu’il y ait le moins de matériel sur la table et que tout ce qui se partage entre les joueurs soit posé sur le plateau. On peut voir ici, une photo du proto.
Donner du sens et suivre le guide…
J’ai ensuite pris mes crayons. Dans Tikal 2, il y a deux phases de jeu. La première pour visiter en pirogue les petits temples qui bordent la rivière cernant le site principal. Et la seconde phase, c’est l’exploration à proprement parler du temple avec les figurines.
Comme il y a une différence flagrante d’échelle entre ces deux parties du plateau, nous avons opté pour un temple « surélevé ». Une sorte de perspective forcée, accélérée avec une piste de score faisant office de muraille, permettant de séparer clairement les deux espaces. Effet que j’ai renforcé grâce à des ombres portées soutenues. Comme en trompe-l’œil.
Le temple vu de dessus c’est un empilement de formes carrées et ça m’a pris un sacré bout de temps pour trouver le bon angle et la bonne échelle pour qu’il s’intègre au « damier » qui délimitera les salles à explorer.
Après de nombreux échanges avec Gameworks concernant les zones consacrées aux cartes, trésors et tuiles, nous avons souhaité éviter de simples emplacements de dépôt bêtement « plaqués » sur l’illustration et j’ai imaginé ces espaces comme des autels enfouis sous la végétation ou des stèles cachées autour du temple. Avec en ligne de mire, un lieu crédible où chaque élément doit être bien à sa place, fonctionnel et plausible.
Tikal vu du ciel…
Comme si ce n’était pas assez complexe, j’ai annoncé à Gameworks, une entreprise un peu kamikaze : réaliser le plateau d’un seul tenant et le mettre en couleurs d’une traite. Logistiquement, ce ne fut pas évident à gérer avec une surface – très encombrante – de travail, plus grande que le format définitif pour gagner en finesse et définition à la réduction.
C’était en plein mois de juillet 2010 avec une chaleur moite et tenace qui m’a bien mis dans l’ambiance. Je n’ai pris qu’une photo en cours de réalisation, quand je posais les masses colorées…
Je suis venu à bout du plateau en une semaine. Et je me suis retrouvé à scanner et recomposer cette grande illustration en plus d’une vingtaine (!) de morceaux afin de contrôler au mieux son montage et son homogénéité. Ci-dessous la version brute.
Ensuite, pour amplifier l’effet de jaillissement du temple et affiner la hiérarchie entre les zones de jeu, un petit passage dans Photoshop pour « griser » la piste de score et les éléments situés dans l’enceinte. Quelques petites bidouilles pour ajuster ici ou là un feuillage, déplacer légèrement un bout de caillou ou remettre à la bon échelle un animal occupant les lieux.
Faire prendre la mayannaise…
Voilà la version finalisée avec les premières salles découvertes et les pictos désignant les différents espaces pour le matériel.
C’est là que ça devient très délicat car il faut bien placer le curseur entre la fonction de certaines zones et leur représentation. Comme par exemple pour les deux hydravions qui permettent de vendre les trésors récoltés quand on s’y arrête. Ici pas la peine d’ajouter une icône symbolisant la vente ou l’échange, quand on joue et qu’on connaît les règles, les deux avions oranges, sur le bleu de la rivière, suffisent amplement pour se repérer.
En revanche, difficile de se passer d’un petit filet clair pour délimiter les sites accueillant les tuiles d’action en bord de rivière. Idem pour le damier/quadrillage du temple, nous avons tout tourné dans tous les sens et c’est périlleux de se dispenser d’un léger marquage, sombre dans les zones lumineuses et clair dans les parties sombres du temple.
Il faut trouver le bon compromis entre le jeu et l’image, assurer une bonne jouabilité sans défigurer ou surcharger l’illustration.
Autre exemple avec les stèles accueillant les tuiles des salles, celles des trésors ou encore pour les cartes. Là oui, il vaut mieux ajouter de quoi guider la mise en place du matériel, histoire d’éviter des mélanges ou de fâcheuses erreurs qui perturberaient par la suite le bon déroulement de la partie.
Une expédition unique et inoubliable…
Quand je revois le plateau aujourd’hui avec le recul, je (re)découvre une surface de jeu vaste, confortable, plutôt concentrée et un plateau faisant la part belle à l’illustration !
L’atmosphère du lieu est bien présente, le temple vivant et coloré. Je dois avouer que je suis particulièrement fier du résultat car ce ne fut pas une mince affaire, autant sur le fond que sur la forme, autant dans sa conception que dans sa mise en couleurs.
Je l’ai vécu comme un défi technique autant qu’artistique et je serai ravi de retenter ce genre d’expérience enrichissante et formatrice !
« 29 février |
| Tikal 2, #2 : les figurines »
Enrichissant pour les autres aussi, pas que pour toi, sincèrement.
Quand tu nous a envoyé des fichiers pour l’expo MIPEUL nous avons été secoués, moi en tête, quand on s’est aperçu que ce travail était fait sur papier et non à l’ordi (idem pour la couverture du jeu qui est splendide). Je ne fais pas de la lèche, d’habitude je suis même dans le lot des cono qui se moquent et font des boutades pour rire du genre “et alors -laule-, ma petite nièce fait pareil”, mais ton travail est bouleversant de …. comment trouver un terme pour dire réaliste, mais pas dans le sens où les sujets “ressemble à une réalité” plutôt dans le sens que ce DESSIN “existe vraiment” on a l’impression que la pierre est de la pierre que le sable est fait en sable… bref, le plus beau plateau jamais vu en jeux de ce type et pour enfoncer le clou, il n’est pas fait à l’ordi… ceci expliquant peut-etre cela.
bravo.
C’est ce que je garde à l’esprit en permanence. Disons que si on y regarde de plus près, c’est un peu n’importe quoi. Les ombres partent dans tous les sens, les lumières aussi, les couleurs ne respectent… pas grand chose finalement. Ça ne me dérange pas de tordre la perspective et le « réel » pour tenter d’obtenir une efficace et/ou jolie image. Mais il y a une logique à tout ça et je ne le fais pas au hasard.
J’ai une technique très documentée qui me permet de faire quelque chose qui n’est pas « réaliste » pour les raisons citées au-dessus mais que j’espère plutôt « vraisemblable », plausible et si possible crédible.
Finalement grâce à un traitement de l’illustration dit « traditionnel » et dit « réaliste », je pense que cela me permet d’accrocher le lecteur ou le joueur car il retrouve là des codes connus (de la pierre qui donne l’illusion de la pierre, etc). Ensuite je peux le balader vers là où je veux aller. C’est pas toujours évident à mettre en place et j’y travaille…
Un grand MERCI monsieur Bony 😉
Tu as mis le doigt dessus : quand c’est fait sur papier, non seulement ce n’est pas “moins beau” ou “moins fin” que sur ordi, mais c’est souvent plus riche ! 🙂 Attention, je ne mets pas l’ordi à la poubelle hein (perso j’utilise les deux, et l’ordi plus volontiers que les pinceaux)… Le fait est que sur papier, on a toujours un grain, des imperfections ; on n’a pas de Ctrl+Z, donc des “accidents” se produisent et ça ajoute à la richesse finale de l’image. L’ordi, quand il est bien utilisé, est un outil formidable et de nos jours, il devient très difficile parfois de faire la différence avec un support “réel”… Mais c’est pas pour rien que depuis le début de l’infographie, tout le monde cherche à gommer ce côté lisse de l’ordi et à imiter les outils de la vraie vie !