
Augustus, conception et réalisation
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Augustus est un jeu de société où les joueurs briguent un titre de Consul que le sénat élit chaque année. Pour cela ils doivent s’assurer du soutien des sénateurs les plus influents et prendre le contrôle de provinces pour rassembler le maximum de richesses. Seul le plus puissant d’entre eux pourra prétendre à ce titre. Mécaniquement, cela revient à obtenir un maximum de point le plus rapidement possible, car la partie s’arrête dès qu’un joueur cumule sept objectifs.
Augustus est signé Paolo Mori chez Hurrican Games. J’ai assuré la réalisation de l’illustration de boîte, les cartes, tuiles, icônes et symboles en étroite collaboration avec Bruno Cathala qui supervisait le projet.
Augustus c’est une version avancée et modern(isé)e du loto ! Destiné à un large public, petits et grands, amateurs et confirmés, le jeu se devait d’être accessible, attrayant et efficace. D’autant plus que les parties se déroulent en une petite trentaine de minutes, s’enchaînant rapidement avec un goût prononcé de « revenez-y ».
Quand j’ai découvert le jeu, j’ai été impressionné par sa limpidité et sa prise en main immédiate. Sous ses airs d’apparente simplicité, se cachent ficelles et ressorts mécaniques, enchaînements et combos qui se révèlent avec l’expérience et le temps.
Ab Jove principium
Pour commencer, les règles dans les grandes lignes : Vous commencez le jeu avec trois objectifs à conquérir et sept légions. Il y a deux types d’objectifs : les provinces et les sénateurs. Le crieur public pioche dans le sac un des 23 jetons mobilisation. Il cite à haute voix sa catégorie et le pose sur la table. Ces jetons permettent de mobiliser six catégories de légions (Double Glaive, Bouclier, Char, Catapulte, Enseigne et Poignard). Il y a aussi deux jetons « joker » qui permettent de mobiliser la légion de son choix. En fonction des tirages annoncés vous mobilisez vos légions et les répartissez sur vos objectifs pour les compléter.
A gauche, une des 88 cartes Objectif tiré du prototype du jeu, trois étapes :
1. On « remplit » les cases du bandeau gauche avec les légions nécessaires pour compléter l’objectif.
2. On effectue l’effet lié à l’objectif.
3. On gagnera le nombre de points de victoire indiqués.
En fond, il y a une carte avec les provinces. Celle de l’objectif en cours est mise en valeur. Les provinces sont regroupées en trois régions distinctes qui permettront d’obtenir des points en plus par un système de majorités. On a également des ressources qui – à part le blé et l’or – ne serviront pas pour le jeu dans l’immédiat mais permettront de découvrir ce qui était proposé par les provinces à l’époque (et ce n’est pas du chiqué, il y a eu un conséquent travail de recherches effectué en amont).
Les cartes ont donc deux plans, l’un principal pour jouer, compléter les objectifs et l’autre, un peu retrait, pour les détails et « bonus ».
J’ai commencé par bricoler ce que j’avais en tête avec des images glanées sur le net ou tirées de jeux que j’ai précédemment illustrés.
Pour éviter des cartes trop « plates », j’ai mis en place une – fausse – perspective pour les éléments de fond. La carte géographique, en légère profondeur, les ressources posées dessus et un pan de mur pour asseoir l’ensemble. Ainsi les deux zones de jeu ne se parasitent pas, l’une frontale mise en avant et l’autre en creux en arrière-plan. Il faut ensuite enrober ces éléments pour avoir un univers cohérent et évocateur (à gauche une sorte d’enseigne romaine en bois avec les différents types de légions accrochés dessus, à droite un panneau suspendu pour les effets et dessous une récompense dorée avec lauriers pour les points de victoire).
Même topo pour les cartes Sénateurs (ici un test avec une image tirée du jeu Sang & Sueur) à la différence que nous avons opté pour un fond gris et apporter ainsi une meilleure distinction des deux types de cartes (provinces et sénateurs).
Ex ungue leonem
Une fois le canevas des cartes mis en place et plutôt bien calé, direction les crayons et pinceaux pour réaliser l’ensemble des éléments qui vont peupler les 88 cartes.
Comme je l’ai écrit plus haut, seuls compte pour l’instant l’or et le blé. J’ai veillé à ce qu’ils soient bien vifs et très « jaunes » pour faciliter leur identification. De même que sur les cartes, je les placerai toujours en avant des autres ressources et légèrement plus encombrantes. Les autres ressources sont là à titre décoratif et informatif, ce qui n’est quand même pas rien 😉
Les panneaux sont repartis en quatre effets différents : les ocres ont des effets immédiats plutôt liés à la mobilisation et aux déplacements de légions, les anthracites pour les effets permanents du jeu, les rouges pour les effets agressifs et les blancs pour les effets liés aux points de victoire rapportés en fin de partie.
Les différents types de légions n’ont pas la même répartition dans le jeu et j’ai travaillé avec attention leur identification. Dans le détail, j’ai veillé à ce que les formes des éléments soient bien toutes différentes (une sorte de croix pour les doubles glaives, un rectangle pour le bouclier, etc).
Puis j’ai travaillé les couleurs avec une certaine « gradation » et hiérarchisation de l’information à transmettre tout en soutenant la dynamique du jeu (ouf). Des jetons quasi-monochromes pour les plus courants (les double glaives et les boucliers), des contrastes proches des complémentaires (chaud/froid, bleus/orangés) pour les deux suivants (char et catapulte).
Ensuite, pour les deux légions les plus rares, celles que les joueurs vont certainement attendre fébrilement, une approche particulière. Nous avons choisi une couleur un peu « hors thème » pour l’enseigne, du rose. Pour assurer un détachement certain et surtout amplifier le saisissement quand le jeton sortira du sac. Pour le dernier jeton, le poignard, j’ai opté pour un graphisme épuré et mettre en valeur la couleur de fond. Afin de profiter pleinement de la force de la couleur jaune et là aussi booster son identification et les exclamations autour de la table 😉
Les sénateurs ne sont pas tous traités de la même manière. Les sénateurs vêtus de simples étoffes brunes sont répartis sur les cartes Objectif qui ne rapportent que des points et pas d’effet particulier. Les sénateurs en toge blanche sont sur les cartes liées aux effets immédiats des panneaux ocre. Ceux debout et très colorés rapporteront des points de victoire, ceux assis sont des négociants qui vous feront bénéficier des effets permanents et les quelques éminences grises se délecteront des conséquences des effets agressifs lancés contre les autres joueurs.
Quand on travaille des cartes de façon « morcelée » en agençant les différents éléments par la suite, il faut être rigoureux au niveau de l’échelle de réalisation de ces éléments. Dessinant et peignant encore et toujours de manière dite traditionnelle, aux crayons et pinceaux, je me dois d’être vigilant sur cet aspect des images. Il ne faudrait pas qu’un élément semble ultra-détaillé et fouillé à côté d’un autre à l’allure plus « grossière ».
Ce qui implique d’estimer précisément ce que donnera une carte finalisée. J’ai d’ailleurs fait de nombreux tests et impressions à taille réelle pour trouver le bon angle d’approche, pour profiter du grain du papier sur tous les éléments, éviter un aspect « montage photoshop brut », etc.
Je pense avoir atteint une bonne harmonie des traités et rendus des différents éléments. Ainsi qu’une certaine cohérence dans leur « piqué », textures et vibrations qui donne l’impression d’une image presque entièrement faite main.
Labor omnia vincit improbus
Même s’il y eut un lot conséquent d’illustrations à peindre et un montage musclé des 88 cartes, le plus imposant, ce fut finalement la conception des icônes, symboles et pictogrammes. En amont avait été effectué un excellent défrichage qui m’a assuré une base solide de réflexion pour la mise en images de ces éléments.
Comme je l’ai écrit plus haut, le jeu se doit d’être limpide. Les parties sont courtes et les joueurs de tous horizons. On ne s’en rend pas forcément compte mais certaines actions ou optimisations dans les jeux peuvent considérablement accroître ou diminuer le temps de jeu. Ce facteur temps est aujourd’hui capital dans la conception d’un jeu et de sa mécanique.
Cela peut sembler évident et ça ne tient à pas grand-chose mais en utilisant des codes communs à tous, les formes et les couleurs permettent de reconnaître rapidement l’action à effectuer voire même d’en deviner son sens instinctivement, fluidifiant le jeu.
Pour prendre l’exemple de la carte Aegyptus qui permet de valider un objectif en cours (un effet puissant), j’ai pensé au symbole de la coche car elle évoque l’action « ok c’est bon » et « check ! ». Aussi, en lui assignant cette couleur verte tendant vers le fluo – couleur qui n’apparaît d’ailleurs sur aucun autre pictogramme – , on rappelle le « feu vert, on peut y aller ». Je pense qu’en jeu, on peut reconnaître la carte au premier coup d’œil.
Combinatio nova
En cours de réalisation, j’ai fabriqué un proto maison pour pouvoir tester les images du jeu sur mon entourage. Durant cette période, j’ai pu enchaîner en un weekend un grand nombre de parties avec mon cousin Sirtin qui en connaît un rayon en matière d’accessibilité et transmission de l’information. Plusieurs séances de brainstorming nous ont permis de pousser le bouchon un peu plus loin pour encore plus de limpidité dans la lecture des symboles.
Les panneaux se lisant naturellement de haut en bas et de gauche à droite, on peut voir sur l’exemple de gauche une légion « fois deux » être déposée sur une case double glaive. Cependant il était certainement plus judicieux de supprimer tout ce qui était « à lire ». Par habitude, j’avais ajouté un « x 2 » pour faire comprendre que l’action doit être effectuée deux fois. Puis plus évident, j’ai choisi de représenter deux fois l’action.
De même que pour l’action de droite – on ajoute deux légions supplémentaires dans sa main – plutôt que de plaquer un « + 2 », montrer les deux légions en regard du « + » est plus naturel et fait sens.
Ici on peut déposer deux légions sur les cases de notre choix. Même topo, l’action est représentée deux fois et le symbole réuni tous les différents types de légions.
L’idée étant finalement de faire visualiser les gestes des joueurs autour de la table, entre l’action physique déployée et l’action dans le jeu. Créer un lien entre ce qui est dessiné et ce qui va être verbalisé à haute voix.
Comment dire, j’ai souhaité justifier et crédibiliser chaque action et chaque image. D’une part parce que cela permet de densifier graphiquement et esthétiquement les cartes et d’éviter des vides et abstractions inutiles. Et d’autre part parce que la fluidité du jeu et l’assimilation des règles en sont certainement renforcées.
Alea jacta est
L’illustrateur travaille au service du lecteur, du joueur, du spectateur, en adéquation avec le public visé. Un enfant n’aura pas les mêmes codes et ni les mêmes réflexes qu’un adulte face aux images, de même qu’un joueur inexpérimenté face à un athlète ou marathonien du jeu de société. C’est loin d’être évident voire du remplissage et avec Bruno Cathala nous avons pensé et réfléchi le moindre détail.
Un sacré challenge !
De même que pour les ressources« inutilisées », au fil des parties, on finit par reconnaître des tuiles grâce à elles ! Sans induire des effets qui ne sont pas sur les cartes, j’ai déjà entendu de petits glapissements quand l’Egypte faisait son apparition. Ou encore Africa et Epirus avec le bloc de marbre et un joli score à la clef.
Il me semble que ce sont là de petits détails (et pas des moindres), de petits indices qui se révèlent au fil des parties, une fois qu’on atteint une certaine vision d’ensemble des cartes et des possibilités offertes. L’illustration n’est pas toujours là « que » pour illustrer, l’image peut – doit ! – avoir une fonction, à mes yeux capitale dans le cadre d’un jeu de société où les rouages doivent être soutenus voire amplifiés par un travail graphique et esthétique chiadé.
Ci-dessous en petite exclu web, les différentes étapes de trois cartes, du proto originel vers la version finalisée et publiée. Au commencement, il était question de construire des bâtiments et ainsi fonder une cité, les cartes étaient à l’horizontal, puis on tend vers ce qui fait le jeu aujourd’hui…
Un petit mot sur la couverture avec une structure classique pour un format de boîte grand et carré, format aujourd’hui estampillé « familial ». Ce qui m’enchante car cela permet de réaliser une image conséquente avec des détails, de la profondeur, des espaces ouverts pour s’exprimer librement.
Ici un canevas en trois temps avec des personnages en situation, en train de vivre réellement ce que les joueurs vont ensuite accomplir au fil des parties. Augustus au premier plan, tourné vers nous, comme une invitation à entrer dans l’image (que je ferme d’ailleurs sur la droite pour focaliser l’attention sur le centre de l’image).
Derrière, un autre sénateur prenant possession d’une province et en arrière-plan une cité au bord de la Méditerranée, des marins déchargent des navires sous l’œil des légions romaines. Et un grand ciel bleu pour dégager de l’espace pour le titre et forcer la perspective grâce aux nuages. Chemin faisant, j’ai simplifié l’image pour aller à l’essentiel.
Une illustration descriptive et narrative pour donner le ton du jeu, poser une ambiance, un décor, des couleurs…
Un régal et une expérience très enrichissante car je crois que j’ai rarement eu l’occasion de travailler de manière aussi pointue le sens donné aux images. Le bel accueil réservé au jeu et son démarrage rassurant me conforte agréablement dans mes choix et ma démarche. Ave César ! 😉
Pour finir quelques liens :
– La fiche TricTrac du jeu c’est par là, celle de Boardgamegeek, c’est ici.
– Des vidéos ont été tournées chez TricTrac, ici.
– Les monsieurs patate de Martin Vidberg jouent à Augustus ici.
– Et la fiche chez l’éditeur Hurrican, par là.
Bon jeu !
« Aperçu Le Roi des Singes |
| Augustus nominé aux Spiel des Jahres »
bien le bonjour et bravo car ce jeu est une petite perle ludique , certes les mécaniques sont connus ainsi que le thème mais quel plaisir car tout est parfait et rien à jeter . Certain le trouve simpliste mais perso je le mettrai au niveau des aventuriers du rail ou de catane , simple certes mais pas simpliste avec des rebondissements, de la frustration, du suspens… bref un jeu” familliale plus ” qui devrait ce trouver dans chaque ludothèque et il devrait remplacer les vieux dinosaures comme le monopoly, risk….sous le pieds des sapins . J’espère que ce jeu trouvera son publique et que des extensions arriveront un jour .
Cordialement et ludiquement votre et encore merci pour cette génial création
joueur et collectionneur depuis plus de 30 ans
Fabrice Morel
Article tout bonnement excellent ! Tout y est ! Bravo Môssieur Dutrait pour cette narration de votre travail. Ce qui se conçoit clairement s’exprime clairement. Merci.
Merci de partager ces développements avec nous ! C’est très intéressant.
Quentin
Merci pour cet article,
C’est toujours très intéressant de connaitre le cheminement d’un travail ! La prochaine fois que j’ouvrirai Augustus, en plus de savoir que je vais passer un très bon moment ludique, je regarderais les illustrations différemments !
Merci
Bravo.
Comme pour d’autres belles réussites ludiques, le (petit) coup de pouce de l’illustrateur finit le jeu, et lui permet d’atteindre la reconnaissance qu’il mérite.
Bravo encore, et bravo aussi pour Mundu Novus qui reste aussi pour moi un grand moment d’illustration.
Merci
Thierry
Passionnant !
Merci pour cet article qui fait prendre conscience de tout le travail et la réflexion graphique au service de l’esthétisme et de l’ergonomie.
C’est un magnifique travail, merci pour ce compte-rendu du processus de création.
Chapeau bas pour votre travail d’illustration!!!
Merci pour cet article très intéressant qui explique parfaitement ce que l’on ressent lorsque l’on joue à Augustus : c’est beau, clair, limpide, plaisir du jeu et plaisir des yeux sont au rendez-vous.
J’adore, vivement les extensions!
Bonne continuation.
Eric